
Entretiens avec Christophe Tissot
et l’écrivain et journaliste Bernadette Costa-Prades
II – Conversation autour … du bijou d’artiste
Un message d’amour pour ma mère
Je suis né dans un milieu où le bijou n’avait pas droit de cité, sans doute trop associé à la frivolité. Il va pourtant être au coeur de ma réaction à cet environnement familial qui m’étouffe, moi qui ne suis pas issu d’un monde d’artistes ou d’artisans volontiers dynastique. Seul mon grand-père paternel Joseph dessinait très bien mais je ne l’ai pas connu. Habile de ses mains, il fabriquait en amateur des pièces en céramique émaillée et des objets rehaussés d’étain repoussé. Mon tout premier geste créateur est destiné à aimer et être aimé : dès l’âge de 5 ans, même si ma mère n’en portait pas en dehors de son alliance, le bijou est une tentative de dialoguer avec elle, de lui témoigner mon affection. Dans l’atelier de poterie de Créteil, je lui fabrique des colliers ‘’préhistoriques’’ de perles en terre cuite ornementées d’engobe et patinées à la cire, dont les fils vont très vite casser, les perles, rouler au sol. De même, je me revois encore en train de confectionner un papillon en fil de cuivre, dans cette maison d’été à Annecy où j’ai été si heureux, ou une colombe émaillée blanche, en forme de broche, symbole de la paix : ma colombe s’est envolée, comme les colliers. Il faut m’y résoudre, ma mère perd ce que je lui offre…
Le choc du masque de Toutankhamon
A 7 ans, je me rends au Petit Palais en compagnie de mon père à l’exposition du trésor de Toutankhamon, présentée pour la première fois à Paris. De retour à la maison, je refais, à ma manière, le masque en bois sculpté qui tient dans ma main. J’ai donc commencé à fabriquer très tôt des bijoux, seul dans mon coin. Des années plus tard, je vais peindre des séries de visages sur papier, (57 vues du Mont Face, Faces, KeyHole, Dreamers) puis les retranscrire en bijoux d’artiste comme un lointain écho de ce premier choc esthétique.
Le bois, ma madeleine
Mon père était ingénieur chimiste dans la pâte à papier et travaillait au Centre Technique Forestier Tropical, une institution nichée dans le bois de Vincennes, et entourée par les restes des pavillons de l’exposition coloniale de 1931. Un lieu magique, où dès la porte passée, je suis happé par les odeurs, je pars déjà en voyage. Dans le centre de stockage, où les bois tropicaux venus du monde entier sont entreposés pour le séchage, j’observe mon père choisir son bois pour le papier, parmi ce véritable trésor.
A l’époque, peu d’adultes se préoccupaient d’écologie et bien sûr, à mon âge, j’étais loin d’avoir conscience des ravages de ces exploitations des grandes forêts primaires. Enfant, à la xylothèque, je découvre la variété des bois présentés sous la forme de petites planchettes polies, avec leur nom écrit dessus, comme un nuancier de couleur. Le bois tropical est ma madeleine, et ma passion pour lui va rejaillir des années plus tard en 1987 lorsque je fais la rencontre de Sylvie (dont l’origine du prénom est forêt !) , créatrice déjà reconnue dans le milieu de la mode et qui transforme le bois précieux en bijoux.
La gravure, un travail minutieux
Ce qui va encore influencer mon travail ultérieur ? Mon passage déterminant dans l’atelier des arts décoratifs du Louvre à partir de l’âge de 10 ans, où je dessine sous la conduite de l’illustrateur Pierre Belvès et grave dans l’atelier de Jean- Claude Reynal. La gravure m’apprend la minutie, les effets obtenus grâce à la variété des traits, les jeux de l’ombre et de la lumière. Je m’initie à la gravure en couleur avec plusieurs plaques superposées, la beauté du cuivre me réjouit. J’aime la peau blanche du papier et le mystère de l’impression sur la presse à bras centenaire. Bien plus tard, je transposerai ces techniques simples sur mes bijoux en bois et en bronze.
Ma muse, ma compagne
En 1987, ma rencontre avec Sylvie réveille ma passion enfouie depuis l’enfance. Devenue ma compagne, elle m’encourage à développer mon talent. Sans son souffle, sa joie, son enthousiasme, aucun de mes bijoux n’existerait. Créatrice elle-même, elle est la muse initiatrice des centaines de bijoux qui jalonnent mon parcours artistique. Pour moi, peinture et bijou sont complémentaires, je ressens le même engagement personnel, la même satisfaction émotionnelle et spirituelle lorsque l’objet fini apparaît ou lorsque la peinture s’achève.
Un univers pour géants
Au fil du temps, j’ai construit un univers de géants. J’ai vu mes manchettes de bois ou de bronze, comme des arches géologiques, marquées par les empreintes des siècles passés. D’autres sont comme des troncs de chênes, ou encore comme des formes futuristes voyageant dans l’espace, drapés pris au vol, morceaux d’encre de chine, ou visages endormis venus de mes peintures.
La fonction des multiples
Mes bijoux d’artistes surgissent en vague et en famille. Ils racontent une histoire, la leur, et un peu la mienne. Ex-voto portatif, ils invitent aux rêves et sont autant de clés pour des portes à ouvrir. Le bijou d’artiste déborde les frontières, aspire aux voyages, au multiculturel, c’est un électron libre. Par esprit de cohérence , je travaille mes formes en série, lesquelles sont le plus souvent inspirées de mes tableaux. Les motifs qui surgissent sont d’abord solitaires, ce sont des bijoux par eux-mêmes. Selon leur attirance, ils se combinent entre eux , ils s’associent ou se divisent parfois comme des cellules pour produire des ensembles familiaux : cette richesse combinatoire, que j’appelle la fonction des multiples, est une des caractéristiques de mon travail d’artiste. A l’instar du sculpteur Rodin qui, on le sait, avait élaboré un fond de têtes, de pieds, de mains, de bras qu’il associait à sa guise pour composer ses œuvres, je dispose d’un fond de motifs accumulé depuis trente ans et dont je me sers librement.
« Dans le fleuve peinture où j’évolue depuis plus d’un quart de siècle, ont surgi une quantité de petits poissons d’or. J’ai taché de les transformer en sculpture qui sont devenues des bijoux d’artiste. » C.Tissot
Bernadette Costa Prades est écrivain et journaliste. Elle a publié deux biographies sur Frida Kahlo et Niki de Saint Phalle chez Libretto, la biographie de Tina Modotti, aux éditions Philippe Rey. Dans ses livres, elle aime éclairer le processus créatif, la démarche poétique et sensible des artistes, qui puisent souvent sa source dans l’enfance. Ses entretiens avec le peintre Christophe Tissot suivent ce même chemin.