La presse nous suit depuis 40 ans,
Découvrez un extrait des parutions dont nous sommes les plus fiers !
Nocturne jeudi 22 octobre jusqu’à 20h00
Ouverture dimanche 25 octobre
de 14h à 18h
LE PARI (S) – Paris Art Week 2020 en association
avec le Comité professionnel des galeries d’art
sera accueilli en exclusivité sur Artsy
Visitez notre stand en ligne
https://www.artsy.net/search?term=cipango
qui se déroulera
du Jeudi 11 juin
(avec nocturne jusqu’à 21h)
au dimanche 14 juin
(ouverture de 14h à 19h)
‘’Les galeries de Saint-Germain-des-Prés,
toutes spécialités et sensibilités confondues,
se fédèrent à partir du jeudi 11 juin autour
d’une opération intitulée
#VisitonsNosGaleries,
pour promouvoir leur importance dans le
paysage culturel français, en rappelant
qu’elles sont ouvertes à tous, que leur accès
est gratuit, et que les publics peuvent y
découvrir des œuvres d’art et d’art appliqué
exceptionnelles. Convaincus que l’émotion
que procure le contact réel avec les œuvres
est irremplaçable, les passeurs que sont les
personnels des galeries attendent les
visiteurs pour engager le dialogue et partager
leurs connaissances avec eux.’’
À très bientôt !
Christophe Tissot est un artiste à l’œuvre protéiforme. Il s’exprime à grande échelle dans le champ pictural mais aussi dans les arts appliqués tels que la peinture murale, la tapisserie contemporaine et le bijou d’artiste. Formé dès l’enfance aux Ateliers du Musée des Arts Décoratifs du Louvre, il est très tôt remarqué par le monde du luxe pour lequel il réalisera de nombreux décors à l’international. Artiste engagé, il s’illustre par la suite dans des projets d’intervention pour l’espace public.
Tournant le dos à l’hégémonie du mouvement conceptuel, ses peintures sur papier grand format sont une invitation à la rêverie et à la réminiscence d’un imaginaire thaumaturge. Son œuvre s’attache à évoquer un rapprochement perdu avec le monde naturel et à interroger nos archétypes, mêlant à la fois symbolisme, figuration narrative et abstraction.
Une enfance bercée par l’univers artistique de vos parents…
J’ai eu la chance d’avoir un père ingénieur chimiste dans la pâte à papier, violoniste amateur depuis l’âge de sept ans et qui aimait beaucoup l’art et la peinture. Ma mère avait aussi une sensibilité artistique. Nous habitions, mes parents, ma sœur jumelle et mon frère aîné une rue au nom prédestiné, 7 rue Albert Gleizes dans la cité de Créteil Mont-Mesly.
À cette époque, je fréquentais la Maison de la Culture du quartier, voulue par André Malraux. Mes parents étaient des militants passionnés du parti communiste, très ouverts sur une certaine culture populaire, peu sensibles par contre à la lecture de Soljenitsyne ou du procès Sakharov… C’était l’époque de Jean Villard, de Maurice Béjart à la fête de l’Humanité, de Jean Lurçat, des guerres d’Algérie et du Vietnam, du coup d’État contre Allende.
Chez nous, il n’y avait pas encore la télévision. Alors, ça discutait souvent en écoutant Aragon chanté par Jean Ferrat, Juliette Gréco, Colette Magny, Barbara, Mouloudji, Yves Montand, Léo Ferré, les chansons de la commune de Paris, mais aussi tout le répertoire de la musique classique. J’aimais cette grande effervescence musicale des années soixante qui était très riche culturellement. Pour moi qui ait passé ma jeunesse en cité puis en banlieue, la musique était donc de l’art à portée d’oreilles. À la maison, on ne passait pas Claude François, Johnny Hallyday ni Elvis, ni les Beatles… Je peux dire qu’adolescent cette ‘’censure culturelle’’ m’a fait souffrir mais c’était un sujet qui m’a donné matière à réfléchir.
Quel évènement vous a ensuite conduit vers votre vocation de peintre ?
J’ai connu par la suite un lieu de refuge, d’imprégnation et d’apprentissage dès mes dix ans à l’Atelier des moins de quinze ans du musée des Arts décoratifs, dirigé par Pierre Belvès, avec Jean-Claude Reynal à l’atelier de gravure et Valentine Schlegel à celui de céramique. Les trois ateliers se suivaient au rez-de-chaussée du Pavillon de Marsan, il y régnait une atmosphère libre et studieuse, j’y suis resté jusqu’à mes 23 ans.
C’était un lieu magnifique. Pierre Belvès avait une façon unique de s’adresser aux enfants ; Il m’a appris à voir et à laisser s’exprimer mon imagination sur toute sorte de sujets. Son enseignement était marquant. Plus tard, il m’a choisi pour être son assistant ; ce fut la première étape dans mon parcours de peintre.
Votre peinture oscille entre figuration et abstraction. Que voulez-vous donner à voir en conjuguant ces deux langages ?
C’est vrai, je peins à cheval entre figuration et abstraction. Cela marche bien ensemble comme les deux hémisphères cérébraux. Je me situe sur le pont qui les relie et sur ce pont je vais à la pêche aux images. Il y a des peintres qui s’installent de préférence sur la rive droite, d’autre sur la rive gauche. J’aime bien observer depuis le milieu puis plonger le moment venu pour aller vers cet espace ouvert qui est le grand cerveau, le vivier nourricier des imaginaires.
Depuis les impressionnistes, la querelle entre figuration et abstraction a été une grande histoire très discutée. Aujourd’hui, cette opposition n’a plus de sens. Ce sont des termes commutatifs, interchangeables, libre à chacun d’en faire ce qu’il veut. Il m’arrive, évidemment de faire des virées à droite ou à gauche mais encore une fois, je n’accorde pas de préférences fondamentales à ces deux aires, seule la forme picturale évolue un peu différemment, pas l’intention.
Pourquoi votre peinture invite-t-elle, par ses couleurs, formes et entités énigmatiques, à un voyage sur les rives du rêve ?
« Ne réveillez pas le peintre, il rêve et le rêve est une chose sacrée ». J’avais écrit cette citation d’Aragon il y a près de quarante ans. Je rêvais d’une peinture nouvelle et différente, je ne savais pas grand chose des rêves et encore moins du sacré. Je pressentais seulement qu’il y avait du vrai dans cette histoire. Dès le début, j’ai immédiatement associé l’idée du beau à celle du sacré par rejet de l’apologie du laid et de l’effroi. Je m’opposais alors au grand courant subjectiviste qui affirmait que tout se valait. J’ai depuis cessé de m’opposer. L’opposition s’oppose au rêve. Un certain détachement est nécessaire. Ce détachement n’est pas la marque d’une indifférence. Juste un écart, un pas de côté, comme savent bien le faire les chats et les danseurs. C’est un léger décalage avec les apparences qui permet d’atteindre le No man’s land où habite le rêve, l’endroit où le peintre va le chercher pour en faire une image.
Combien de fois ai-je entendu venant de personnes bien installées dans les fauteuils en cuir du réel que ‘’j’étais un rêveur ‘’. D’autres, heureusement plus sensibles, aiment approcher le rêve du peintre. J’ai peint beaucoup de ‘’rêveurs’’ et toute mes peintures sont des rêveries intentionnelles. L’image ne vient pas sans la présence d’un terreau patiemment fabriqué. Lorsque la rêverie est possible, l’image surgit de ce compost mémoriel et émotionnel, le peintre s’éveille et se saisit de l’apparition, c’est l’étape finale qui justifie la peinture.
Dans cet espace de transition, l’artiste apprend à utiliser ses sens mais le temps du rêve n’est pas le même que celui du réel. Quand je pense avoir travaillé quelques années, quarante ans ont passé dans l’autre monde. Avoir la tête dans les étoiles et essayer d’en revenir, c’est tout l’art de peindre. Le rêve est un antidote à la suprématie du réel. Le décalage est devenu immense entre le monde qui porte le peintre et celui que porte l’artiste. La peinture est un écosystème en péril qui n’a pas dit son dernier mot car de ce monde intermédiaire peuvent encore jaillir des vérités que nous n’attendions plus.
Quels sont les artistes et personnalités qui vous ont inspiré dans votre approche de l’art ?
J’aime Hundertwasser pour sa compréhension de la nature, Jacques Callot pour son sens de l’observation,
Rembrandt pour la lumière,
Chardin pour sa main sensuelle, Vermeer pour sa touche captieuse,
Vincent Van Gogh pour sa passion et son courage, Modigliani pour sa douce mélancolie, Lucian Freud pour sa générosité,
Picasso pour ses nombreuses périodes et son éclectisme assumé,
Zurbarán et Goya qui sont les deux Espagnes,
Miró et Dalí qui sont la troisième. Jakuchū le japonais miraculeux, Hokusai, Hiroshige, Utamaro et Utagawa.
Courbet et sa nature,
Combas et sa force brute.
Ensor le belge, Matisse le coloriste, les miniaturistes persans, Séraphine de Senlis, Egon Schiele, Toulouse Lautrec, Monet, Kandinsky, les peintres de Lascaux, les expressionnistes…
En fait, je n’ai pas de peintre favori, je n’ai que des préférences sans nombre. La vie d’un peintre est éminemment respectable, c’est pour cette raison que je les admire tous, qu’ils soient connus ou inconnus.
Il manque en France un monument à l’artiste inconnu.
Selon vous, pourquoi l’art est important dans nos vies ?
Que serait une vie sans art ? L’être humain perçu dans sa plénitude utopique n’est-il pas destiné à devenir une œuvre d’art, synonyme de paix et d’abondance ? Une chenille qui devient papillon. C’est une question de sève. L’art est nourricier, une vie sans art donne un monde où l’intelligence devient artificielle.
J’ai toujours pensé que la peinture peut être ce lien entre les différences, les cultures, les clans, les savoirs, les apartheids et les solitudes traversées. Les toiles peuvent devenir ces fenêtres ouvertes sur un espace où le regard s’échappe et à travers lesquels l’intelligence retrouve un reflet d’elle-même qu’elle croyait oublié et perdu.
C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai proposé de 2005 à 2010 une exposition pérenne de 32 grands formats, dans le nouveau bâtiment d’oncologie du CHRU Bretonneau à Tours. Cet ensemble, une première en France à cette échelle, a permis d’unifier les différents secteurs spécifiques du bâtiment (consultation, hospitalisation, salle de conférence, bibliothèque, étage réservé aux professeurs). À cette occasion, je me suis rendu compte à quel point le personnel hospitalier, les médecins et les familles appréciaient la présence de l’art dans un lieu aussi sensible.
Cette expérience de cinq ans a montré les effets bénéfiques que l’art seul peut procurer. Nous venons de traverser une période inédite en France, en Europe et dans le Monde, d’un confinement face à une pandémie qui a duré deux mois et qui aura aussi confirmé certaines réalités :
. Le recours indispensable à l’art et aux artistes pour tolérer l’enfermement de soi chez soi.
. L’importance d’une créativité artistique positive.
. La très grande fragilité de l’art et des artistes dans un système économique qui peine à atteindre le fameux 1% du budget national.
. Enfin, le rôle sociétal de l’art, ce qui sous-entend un choix de modèle de société.
Selon vous, l’artiste contemporain est-il libre ?
Tout artiste tend vers l’émancipation, un pied prisonnier des contraintes, un autre sur le chemin de la liberté. Nous avançons en boitillant ; quelques fois, nous réussissons à voler. Cette question n’est pas simple et la liberté est peut-être destinée à rester un questionnement. Elle est une chose précieuse et indéfinissable, un droit et un devoir, une force impassible, un mouvement du corps et de l’esprit.
On peut penser le problème de cette façon : aussi longtemps que l’artiste travaille sans déranger quoique ce soit à des œuvres consensuelles, on le laisse libre. Par contre, lorsque son regard change et qu’il met son œuvre au diapason de cette nouvelle vision, il arrive que des obstacles se dressent et mettent en danger sa liberté.
Selon moi, l’artiste contemporain n’est pas entièrement libre, il aspire à le devenir.
« Le papier est, nous dit-on, une invention des Chinois ; toujours est-il que nous n’éprouvons, à l’égard du papier d’Occident, d’autre impression que d’avoir affaire à une matière strictement utilitaire, cependant qu’il nous suffit de voir la texture d’un papier de Chine, ou du Japon, pour sentir une sorte de tiédeur qui nous met le coeur à l’aise. À blancheur égale, celle d’un papier d’Occident diffère par nature de celle d’un hôsho ou d’un papier blanc de Chine. Les rayons lumineux semblent rebondir à la surface du papier d’Occident, alors que celle du hôsho ou du papier de Chine, pareille à la surface duveteuse de la première neige, les absorbe mollement. De plus, agréable au toucher, nos papiers se plient et se froissent sans bruit. Le contact en est doux et légèrement humide, comme d’une feuille d’arbre. »
Éloge de l’ombre, Junichirô Tanizaki (1886-1965)
II – Conversation autour … du bijou d’artiste
Un message d’amour pour ma mère
Je suis né dans un milieu où le bijou n’avait pas droit de cité, sans doute trop associé à la frivolité. Il va pourtant être au coeur de ma réaction à cet environnement familial qui m’étouffe, moi qui ne suis pas issu d’un monde d’artistes ou d’artisans volontiers dynastique. Seul mon grand-père paternel Joseph dessinait très bien mais je ne l’ai pas connu. Habile de ses mains, il fabriquait en amateur des pièces en céramique émaillée et des objets rehaussés d’étain repoussé. Mon tout premier geste créateur est destiné à aimer et être aimé : dès l’âge de 5 ans, même si ma mère n’en portait pas en dehors de son alliance, le bijou est une tentative de dialoguer avec elle, de lui témoigner mon affection. Dans l’atelier de poterie de Créteil, je lui fabrique des colliers ‘’préhistoriques’’ de perles en terre cuite ornementées d’engobe et patinées à la cire, dont les fils vont très vite casser, les perles, rouler au sol. De même, je me revois encore en train de confectionner un papillon en fil de cuivre, dans cette maison d’été à Annecy où j’ai été si heureux, ou une colombe émaillée blanche, en forme de broche, symbole de la paix : ma colombe s’est envolée, comme les colliers. Il faut m’y résoudre, ma mère perd ce que je lui offre…
Le choc du masque de Toutankhamon
A 7 ans, je me rends au Petit Palais en compagnie de mon père à l’exposition du trésor de Toutankhamon, présentée pour la première fois à Paris. De retour à la maison, je refais, à ma manière, le masque en bois sculpté qui tient dans ma main. J’ai donc commencé à fabriquer très tôt des bijoux, seul dans mon coin. Des années plus tard, je vais peindre des séries de visages sur papier, (57 vues du Mont Face, Faces, KeyHole, Dreamers) puis les retranscrire en bijoux d’artiste comme un lointain écho de ce premier choc esthétique.
Le bois, ma madeleine
Mon père était ingénieur chimiste dans la pâte à papier et travaillait au Centre Technique Forestier Tropical, une institution nichée dans le bois de Vincennes, et entourée par les restes des pavillons de l’exposition coloniale de 1931. Un lieu magique, où dès la porte passée, je suis happé par les odeurs, je pars déjà en voyage. Dans le centre de stockage, où les bois tropicaux venus du monde entier sont entreposés pour le séchage, j’observe mon père choisir son bois pour le papier, parmi ce véritable trésor.
A l’époque, peu d’adultes se préoccupaient d’écologie et bien sûr, à mon âge, j’étais loin d’avoir conscience des ravages de ces exploitations des grandes forêts primaires. Enfant, à la xylothèque, je découvre la variété des bois présentés sous la forme de petites planchettes polies, avec leur nom écrit dessus, comme un nuancier de couleur. Le bois tropical est ma madeleine, et ma passion pour lui va rejaillir des années plus tard en 1987 lorsque je fais la rencontre de Sylvie (dont l’origine du prénom est forêt !) , créatrice déjà reconnue dans le milieu de la mode et qui transforme le bois précieux en bijoux.
La gravure, un travail minutieux
Ce qui va encore influencer mon travail ultérieur ? Mon passage déterminant dans l’atelier des arts décoratifs du Louvre à partir de l’âge de 10 ans, où je dessine sous la conduite de l’illustrateur Pierre Belvès et grave dans l’atelier de Jean- Claude Reynal. La gravure m’apprend la minutie, les effets obtenus grâce à la variété des traits, les jeux de l’ombre et de la lumière. Je m’initie à la gravure en couleur avec plusieurs plaques superposées, la beauté du cuivre me réjouit. J’aime la peau blanche du papier et le mystère de l’impression sur la presse à bras centenaire. Bien plus tard, je transposerai ces techniques simples sur mes bijoux en bois et en bronze.
Ma muse, ma compagne
En 1987, ma rencontre avec Sylvie réveille ma passion enfouie depuis l’enfance. Devenue ma compagne, elle m’encourage à développer mon talent. Sans son souffle, sa joie, son enthousiasme, aucun de mes bijoux n’existerait. Créatrice elle-même, elle est la muse initiatrice des centaines de bijoux qui jalonnent mon parcours artistique. Pour moi, peinture et bijou sont complémentaires, je ressens le même engagement personnel, la même satisfaction émotionnelle et spirituelle lorsque l’objet fini apparaît ou lorsque la peinture s’achève.
Un univers pour géants
Au fil du temps, j’ai construit un univers de géants. J’ai vu mes manchettes de bois ou de bronze, comme des arches géologiques, marquées par les empreintes des siècles passés. D’autres sont comme des troncs de chênes, ou encore comme des formes futuristes voyageant dans l’espace, drapés pris au vol, morceaux d’encre de chine, ou visages endormis venus de mes peintures.
La fonction des multiples
Mes bijoux d’artistes surgissent en vague et en famille. Ils racontent une histoire, la leur, et un peu la mienne. Ex-voto portatif, ils invitent aux rêves et sont autant de clés pour des portes à ouvrir. Le bijou d’artiste déborde les frontières, aspire aux voyages, au multiculturel, c’est un électron libre. Par esprit de cohérence , je travaille mes formes en série, lesquelles sont le plus souvent inspirées de mes tableaux. Les motifs qui surgissent sont d’abord solitaires, ce sont des bijoux par eux-mêmes. Selon leur attirance, ils se combinent entre eux , ils s’associent ou se divisent parfois comme des cellules pour produire des ensembles familiaux : cette richesse combinatoire, que j’appelle la fonction des multiples, est une des caractéristiques de mon travail d’artiste. A l’instar du sculpteur Rodin qui, on le sait, avait élaboré un fond de têtes, de pieds, de mains, de bras qu’il associait à sa guise pour composer ses œuvres, je dispose d’un fond de motifs accumulé depuis trente ans et dont je me sers librement.
« Dans le fleuve peinture où j’évolue depuis plus d’un quart de siècle, ont surgi une quantité de petits poissons d’or. J’ai taché de les transformer en sculpture qui sont devenues des bijoux d’artiste. » C.Tissot
La Galerie Cipango présente en permanence les pièces de la céramiste contemporaine Yoshimi Futamura. Succédant à la série Black Hole, la série Rebirth (2017) est une réponse alchimique de l’artiste après plusieurs années, face au terrible séisme de Tohoku qui a eu lieu au Japon en 2011.
C’est une histoire cosmologique qui nous est contée par cette œuvre, dont l’éclatement exprime tour à tour la percée tragique et la libération salvatrice. L’histoire d’une lutte, d’un combat entre l’organique et le minéral, au terme duquel jaillit la fusion des deux mondes et la réconciliation de l’homme et de la nature. La terre, carbonisée, déshydratée, qui donne le sentiment d’avoir parcouru maints voyages et d’avoir traversé les âges, est le dernier vestige de cette glaise originelle dont nous sommes issus.
Substance des substances, archétype de la matière, ses rides n’annulent pourtant pas la vie qui gronde en elle. L’épreuve du feu ne l’a rendue que plus vivante ; en brouillant les pistes – qu’a t-on devant soi ? du bois, de la glace, du basalte ? Le feu a aussi permis la renaissance. A mesure que le regard s’approche, l’informe cède la place à la rêverie de formes successives – l’écorce, le flanc d’une montagne enneigée, les craquelures d’un sol depuis longtemps asséché. Les méandres de la matière exhortent l’œil à s’immiscer entre les brèches, les creux et les déchirures, à se lover dans l’intimité de la terre, dont les irrégularités et les reliefs font la beauté.
Comme sortie du cœur du monde, des bras de la nature, cette sculpture des origines ne semble plus obéir complètement au désir de l’artiste, qui a abandonné une part de son pouvoir démiurgique à l’aléatoire et laissé les éléments reprendre leurs droits.
Marion Ricard – 15 mars 2018
‘’Un peintre, c’est quelqu’un qui essuie la vitre entre le monde et nous avec de la lumière, avec un chiffon de lumière imbibé de silence.’'
Christian Bobin, L’inespérée - Gallimard 1994
I – Conversation autour … de la peinture
La peinture, un langage des signes
Le peintre devrait être muet, ne léguer que sa peinture. Dès qu’il se met à parler, il trahit un peu sa fonction qui est de laisser les autres apprécier ou pas son tableau. Il me semble qu’en dire trop, enferme, racornit la potentialité de l’œuvre, la taxidermise. Je me méfie de l’artiste qui intime qu’il faut voir ce message dans sa peinture et rien d’autre. Que dire alors de la mienne ? Je préfère être polyglotte, ainsi, les mots n’enferment jamais complètement.
On n’y voit rien
Daniel Arasse met le doigt sur une donnée fondamentale : on ne voit rien, on est dans le noir absolu, nous voyons seulement l’image que notre cerveau a bien voulu reconstituer, derrière nos yeux en quelque sorte. De plus, notre cerveau ne peut décoder qu’une infime partie du champ vibratoire. Entre infrarouges et ultraviolets, il existe des mondes invisibles à notre œil, ce qui devrait tendre à nous rendre modeste… Toutefois, grâce à l’art, à la poésie, nous tentons d’élargir notre spectre de vision, de compréhension.
Donner à imaginer
Quarante ans plus tard, je me souviens encore d’une phrase de l’un de mes professeurs : « Si vous avez une serpillière, ne me la jetez pas à la figure. ». C’est l’une des questions fondamentales du peintre : est-ce qu’il balance aux visiteurs une toile qui va en mettre plein la vue, dans tous les sens du terme, ou va-t-il donner à imaginer ? Quelle part accorde-t-il au message ? S’il n’est que dans l’intentionnalité pure, il fera un tableau de propagande. L’art a trop souvent servi à asséner des slogans. Il existe encore une façon d’attirer le chaland en lui susurrant viens voir, viens voir comme elle est jolie mon image…
A partir de là, l’art se trouve réintégré dans un circuit marchand. Pour moi, l’une des véritables utilités de l’art est ce que je nomme l’échappement, cette part invisible qui, au fur et à mesure du temps, élargit notre façon de voir, sert de révélateur. Depuis la grotte Chauvet et jusqu’à aujourd’hui, nous devrions faire de notre mieux vis à vis de ce bel héritage du passé, ajouter modestement notre pierre. Et éviter de tomber dans l’orgie du marché de l’art actuel qui a tout déformé, donnant des moyens exorbitants à des œuvres qui ne sont pas fondamentalement utiles. Pas toutes naturellement, mais nous sommes en droit de nous demander pour certaines ce qu’elles apportent réellement à l’élargissement de la vision.
Les excès de l’art conceptuel
Cette omniprésence de l’art conceptuel témoigne de l’omniprésence d’une forme de pensée. Notre culture du rendement tourne le dos à la sensibilité, à l’imagination. Il s’est créé une chaine invisible, subtile, qui est de nous maintenir dans l’ignorance, la passivité, l’obéissance. De mon point de vue, un certain art conceptuel n’est pas libérateur, les œuvres ne font pas rêver.
L’ère du désenchantement
J’y vois les conséquences de la guerre de 14/18, de ses traumatismes tus. Les livres d’histoire servent toujours un même discours, les héros, le champ d’honneur… On ne cesse de maquiller les faits, de génération en génération, alors que cette tuerie a eu de graves conséquences sur l’art, entrainant une forme de nihilisme, notamment l’idée que la beauté n’existe pas.
L’art conceptuel a porté cette onde de choc, ce traumatisme, et a proposé de voir la terreur. Il a existé un courant totalitaire chez certains conceptuels, dont le maître mot était la transgression, devenue quasiment une religion. Le seul fait d’émettre une critique vous rendait coupable d’avoir une vision bourgeoise de l’art, et la peinture fut soudain déclarée décadente, anti-révolutionnaire …
Vers un nouveau mouvement
Ma réponse face à ce courant ? Poursuivre mon œuvre, exister à tout prix, en espérant ne pas être seul. Quand un artiste propose une œuvre authentique, elle rencontre son public, les conceptuels n’arrêteront pas ce mouvement. J’ai trente ans de lecture, de réflexion, de peinture, de résistance et il me semble que nous sommes de plus en plus nombreux aujourd’hui à vouloir passer à une autre étape.